Pour un confinement qui durera mille ans

— et si on restait chez nous pour de bon ?

Je sais, j’exagère un tout petit peu, ce titre est une hyperbole qui résonne fâcheusement. Mais maintenant que vous êtes là à cause du titre, je peux vous dire un mot. Ce ne sera pas bien long, j’ai encore assez de cheveux pour n’être pas dans la #TeamChauve à la prolixité légendaire.

Je suis un confiné privilégié car à deux dans une grande maison avec de la verdure dans le jardin et la campagne pas très loin, entouré de lecture pour plusieurs années, je suis bien conscient qu’il m’est facile de supporter ce qui pèse tellement à beaucoup dans des conditions beaucoup plus pénibles.

Seulement voilà : ce que me montre cette période inédite, avec la clarté violente d’une simple évidence, c’est que rester chez soi sans y travailler, c’est porter un coup sévère au fonctionnement de l’économie néo-libérale (pour aller vite, on dira : le capitalisme jusqu’à présent omnipotent), et que justement c’est ce qui inquiète tant notre gouvernement et ceux qui en sont les soutiens et bénéficiaires. Personne n’est dupe : s’il y a urgence à donner un cap et une date rapidement aux Français, c’est bien parce que l’économie doit redémarrer au plus vite.

La peur de la récession est plus forte que la crainte d’un nombre élevé de morts. Un jour peut-être, dans quelques années, on apprendra que dans le secret des cabinets ministériels, on avait calculé un nombre de décès considéré comme acceptable. Pour atteindre la fameuse immunité de groupe estimée souvent à 60 % de la population, combien de morts nécessaires ?

L’autre face de la situation, et ce qu’elle apprend à celles et ceux qui ont participé pendant de longs mois à des mouvements de contestation du néo-libéralisme sourd et forcené, est tout aussi simple et évidente. Si nous restons chez nous sans travailler, le château de cartes s’écroule. Pas besoin de défiler, de se faire nasser, gazer, brutaliser de toutes les façons et finalement ignorer.

Le moyen contemporain de faire tomber le colosse aux pieds d’argile et de cesser de se soumettre (version moderne de la recommandation de La Boétie 1) c’est de ne plus travailler, de ne plus obéir à l’injonction du capital. schtroumpf de Peyo, dormant paisiblement Oui ça sera difficile, car je n’imagine pas que ceux qui aujourd’hui travaillent encore par nécessité ou obligation et à qui je dois une vie quotidienne encore confortable, je n’imagine pas que ceux-là continuent à travailler. Ce sont eux qui peut-être les premiers parce qu’ils sont en première ligne auront le pouvoir de donner le signal d’un arrêt total. Ne plus circuler, consommer le moins possible, agir par le non-agir (je mets ça pour les bobos taoïstes), bref refuser de participer à la « relance », à « l’effort national », à « l’union sacrée » qu’on va nous servir à toutes les sauces.

La grève générale par confinement volontaire, ça vous tente ?


1 « Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l'ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son propre poids et se rompre. » LA BOÉTIE Discours de la servitude volontaire (1548?)
Version en français moderne de Séverine Auffret, éditions Mille et une nuits, 1995