À la fin de la première partie de ce diptyque sur la littérature de l'imaginaire, nous nous étions quittés avec Ursula K. Le Guin (1929–2018) et son cycle de Terremer, faisant ainsi une parfaite transition de la Science-Fiction vers la Fantasy.
S'il est un genre difficile à définir, c'est bien celui de la Fantasy, tant il présente de visages et se réinvente sans cesse ! Je vous propose donc un aperçu de cette diversité par le prisme des auteurs qui ont marqué mon parcours de lecteur.
“Village in the air” by David Revoy, CC-By-NC-ND
J'ai découvert la Fantasy, comme beaucoup de lecteurs, grâce à J.R.R. Tolkien (1892–1973) et son Seigneur des Anneaux, que je ne vous ferai pas l'affront de présenter. Après la lecture du Hobbit, au demeurant bien plus accessible, j'ai longtemps hésité à me replonger dans la Fantasy, persuadé que la Fantasy c'était Tolkien, ses elfes et ses hobbits, et que tout autre ouvrage ne serait que pâle copie.
C'était sans compter sur une découverte fortuite faite dans la bibliothèque d'un ami, celle de Terry Pratchett (1948–2015) qui, avec ses Annales du Disque-Monde, un cycle de 41 romans burlesques à l'humour anglais pénétrant, interroge notre société par le truchement d'un univers riche et fouillé où cohabitent tant bien que mal mages, sorcières, nains, trolls, et même la Mort personnifiée. Et ce ne sont pas les sujets qui manquent : la Fantasy bien sûr, mais aussi la presse, l'apocalypse, l'industrie du cinéma, le théâtre, Noël, les religions, le rock'n'roll… tout y passe.
Terry Pratchett a également collaboré avec des auteurs de talent. Et la transition est toute trouvée pour introduire Neil Gaiman (1960–), dont la collaboration avec Pratchett a donné naissance à De Bons Présages, un roman mêlant avec brio l'humour de Pratchett et les talents de conteur de Gaiman !
Neil Gaiman est sans pareil ! Il nous entraîne dans son univers dès les trois premières lignes. Avec ce style remarquable qui est le sien, il nous emmène à la lisière du réel et du fantastique, du tangible et de l'onirique, pour finalement nous rendre à la réalité, un peu transformé. Parmi ses œuvres principales, on peut citer L'étrange vie de Nobody Owens, Neverwhere, American Gods, Stardust ou encore Coraline.
Ce qui caractérise la Fantasy, ce sont ses ambiances, ses univers ! Il est des auteurs qui, à l'instar de Tolkien et sa Terre du Milieu, créent des univers complets au sein desquels évoluent leurs personnages et se déroulent leurs intrigues. Brandon Sanderson (1975–) est de ceux-là. Son univers, qu'il nomme Cosmère, est la scène de théâtre de ses plus grands cycles tels que Fils-des-brumes, Les Archives de Roshar, ou encore Elantris. Ce dernier est d'ailleurs une excellente porte d'entrée pour découvrir Sanderson.
Un autre grand bâtisseur d'univers, auteur de High-Fantasy à qui l'on doit La Roue du Temps, une œuvre en 14 volumes, c'est Robert Jordan (1948–2007). À son décès, sa veuve demanda à Brandon Sanderson de rédiger la fin de ce cycle qui s'impose comme un monument incontournable de la Fantasy.
Et quand la construction d'univers rencontre la Fantasy épique, c'est le nom de Steven Erikson (1959–) qui vient à l'esprit. Il est l'auteur d'une œuvre magistrale, Le livre des Martyrs, une décalogie d'une ampleur inégalée, où rien n'est laissé au hasard, tant au niveau du rythme, que du style, de l'originalité et de l'inventivité dont fait preuve l'auteur, notamment en ce qui concerne les systèmes de magie déployés.
Mais on ne saurait parler de Fantasy sans mentionner l'Heroic-Fantasy dont l'un des fondateurs du genre n'est autre que Robert E. Howard (1906–1936), le père de Conan le Cimmérien, aussi connu sous le nom de Conan le Barbare. Loin du cliché du barbare analphabète à la musculature inversement proportionnelle à la taille microbienne de son pagne en peau de bête, l'œuvre d'Howard se veut profonde et pose un regard critique sur la civilisation telle que nous la connaissons.
Alors que Robert E. Howard place les aventures de Conan dans un passé phantasmé emprunt de mythologie, entre la chute de l'Atlantide et l'essor des premières civilisations de notre âge, d'autres font de l'élément historique le terreau de leur imaginaire. C'est le cas de Guy Gavriel Kay (1954–) qui s'élève au rang de maître dans l'art de la Fantasy historique. Il est l'auteur de plusieurs cycles comme La Tapisserie de Fionavar emprunt de mythologies celte et nordique, mais aussi influencé par la légende arthurienne, La Mosaïque de Sarance qui nous plonge dans l'empire byzantin du VIe siècle, ou encore Les Chevaux Célestes qui nous emmène en Empire du Milieu, la Chine de la dynastie Tang.
C'est aussi la Chine que choisit Estelle Faye (1978–) pour planter le décor de Porcelaine, légende du tigre et de la tisseuse un roman tout en légèreté et en poésie. Estelle Faye c'est aussi La Voie des Oracles, une trilogie dans le décor de la Gaule du Ve siècle, estampillée jeunesse, mais ne vous y trompez pas, il ne s'agit là que d'une étiquette.
Voyageons encore un peu et faisons place à la Science-Fantasy. Direction l'Afrique avec NNedi Okorafor (1974–), autrice américaine d'origine nigérienne qui, avec son roman Qui a peur de la mort ? nous plonge dans une Afrique subsaharienne post-apocalyptique, mêlant technologie, tradition et sorcellerie.
Et puisque que nous en sommes aux autrices de Fantasy qui m'ont marqué, je me dois ici de nommer Jacqueline Carey (1964–). Sa série Kushiel constituée de trois trilogies, est sublime ! Dans un univers imprégné de Renaissance flamboyante, Jacqueline Carey nous relate l'existence d'une jeune fille au destin extraordinaire sur fond d'intrigues de palais et d'érotisme.
Restons dans la flamboyance et les complots avec Jean-Philippe Jaworski (1969–) à qui l'on doit en particulier Gagner la guerre et Janua Vera, respectivement roman et recueil de nouvelles, inscrits dans l'univers du Vieux Royaume. Ici aussi, avec Jaworski, sitôt les premières pages avalées, il est difficile d'en décrocher tant les personnages sont charismatiques et l'univers soigné ! Mais ce qui frappe avant tout chez lui, c'est son style. Ce style qui va donner du corps et de la consistance au récit, qui vous saisit et vous bringuebale sans ménagement, sans manières, un peu rustre parfois, mais toujours avec justesse ! Un vrai régal.
Et si vous aimez la gouaille et le panache, c'est vers Scott Lynch (1978–) et ses Salauds Gentilshommes qu'il faudra vous tourner ! Voilà un auteur qui se montre implacable avec ses personnages qu'il nous invite à suivre dans des situations indécrottables, desquelles ils tenteront de se dépêtrer en mettant sur pied des arnaques renversantes avec un culot inouï.
Dans un genre très différent, entre mythes et mystère, La Forêt des Mythagos de Robert Holdstock (1948–2009) est une œuvre tout à fait remarquable ! Une véritable petite pépite dans un écrin de songe mystique.
Enfin, n'oublions pas les ouvrages qui, dans l'indifférence quasi totale, ont fait de la Fantasy ce qu'elle est aujourd'hui : un genre riche et en perpétuelle redécouverte. Je pense évidemment au Serpent Ouroboros de E.R. Eddison (1882–1945), Lud-en-Brumes de Hope Mirrlees (1887–1978), Le Loup des steppes de Harold Lamb (1892–1962), pour ne citer que ceux-là.
Voilà, j'espère que ce petit tour vous aura donné envie de lire de la Fantasy et de la Science-Fiction, de découvrir ou redécouvrir des auteurs, des univers, des ambiances et des styles !
Bonne lecture.
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