La destinée du genre

par Hannah

Naître homme ou naître femme ici dans le Fouta-Djallon fait s’ouvrir des perspectives de vie différentes.

Je ressens très fortement la sororité des femmes qui m’entourent, comme je l’avais aussi vécue sur l’île de Java en Indonésie et entrevue à Marrakech – où je m’étais sentie accueillie dans l’intimité et la connivence des femmes au hammam, ce qui contrastait avec la quasi-absence de contacts que j’avais eu avec des femmes dans l’espace public. Au marché de Mamou, il n’y a que des femmes qui vendent des produits et elles s’adressent à moi uniquement, ignorant Rémi – sauf parfois pour lui demander de devenir sa deuxième épouse !! L’ambiance est très joviale, les marchandes font des blagues (on a vite appris les blagues courantes en langue peule !) et leurs enfants sommeillent sous les étals ou dans leur dos.

Les hommes ne vont pas au marché, ni pour vendre ni pour acheter. En revanche, ce sont majoritairement eux qui tiennent les boutiques de produits industriels (mèches de cheveux pour les tresses, produits d’hygiène, boîtes de conserves, sodas, etc.). Dans les salons de coiffure, ceux où travaillent les femmes sont destinés aux femmes, et inversement. Les tissus (wax, indigo, lepi, etc.) sont généralement vendus par des femmes. Par contre côté couturiers, on trouve des hommes et des femmes, qui cousent indifféremment des modèles hommes ou femmes. Dans les bars, il est rare de voir des femmes, et elles sont toujours avec un homme. Ce sont généralement des « petites » comme on dit ici, des amantes ou des prostituées. Les hommes ne sortent pas avec leur épouse, une fois mariée une femme n’est pas censée sortir dans des lieux nocturnes.

Alors avec Rémi (pour faciliter les choses, on se présente comme mari et femme), on dénote dans le mode de vie mamounais car on est inséparables : on fait les courses ensemble, on va boire des coups ensemble, on va en boîte ensemble (avec des copains, pas juste à 2 !)…

Le grand étonnement pour nous, c’est le mariage. Il est fréquemment polygame (polygyne plus précisément, ce sont les hommes qui peuvent avoir plusieurs épouses et non l’inverse), il n’est pas rare dans le Fouta d’avoir deux épouses, mais moins courant d’en avoir 3 ou 4. Lorsqu’un homme décède, le frère du défunt prend généralement la veuve pour femme, c’est le cas de l’une de nos collègues qui est maintenant mariée à celui qui était son beau-frère. Une autre de nos collègues (plus jeune) a perdu son mari et a refusé de devenir la femme du frère. Difficile pour nous de savoir quelle est la liberté de décision, mais il faut une certaine force de caractère pour assumer de vivre sans mari dans le Fouta, même si c’est toujours plus simple d’avoir un statut de veuve avec enfants que de célibataire.

Lors du mariage, le mari peut ne pas être présent, il est dans ce cas représenté par son frère. Une collègue nous a raconté le mariage de son frère, qui vit en Sierra-Leone. La jeune mariée, sa 3ème épouse, est partie vivre chez ses beaux-parents une fois le mariage célébré, il n’est pour l’instant pas prévu qu’elle le rejoigne en Sierra-Leone. Il est assez courant que mari et femme ne vivent pas sous le même toit. Le rôle du mari est de pourvoir aux dépenses de la famille, pour cela il se peut qu’il soit au village et cultive la terre, qu’il travaille à Conakry ou qu’il soit à l’étranger. Dans tous les cas, il envoie « la dépense » (c’est comme ça que les gens en parlent ici) et le rôle de l’épouse est d’assurer le quotidien.

Il arrive que les femmes vivent sous leur propre toit et élèvent les enfants ou soient au sein de leur famille, mais il est courant qu’elles vivent chez les parents de leur mari ou à proximité. La précarité vécue fait porter sur les gens la responsabilité de la retraite de leurs parents : ils doivent pouvoir couvrir leurs dépenses et s’occuper d’eux quand ils sont trop affaiblis physiquement. Dans un pays où les structures sanitaires sont quasi-inexistantes et où les métiers de soins à domicile n’existent pas (en tout cas à Mamou), les femmes s’occupent donc des anciens au quotidien, les hommes étant occupés à l’extérieur du foyer. Et ce sont plus précisément les belles-filles, les épouses des fils, qui assument ce travail.

Cela donne une autre perspective sur le mariage, qui est souvent ici arrangé. Comme le dit notre collègue et ami “C’est la loterie ! Mais moi j’ai eu de la chance, on s’entend bien avec ma femme”. Il n’est pas permis d’avoir fréquenté la personne que l’on va épouser, les unions sont donc organisées par les familles et ressemblent à nos yeux plutôt à des contrats, indispensables au bon fonctionnement de la société actuelle.