Vendredi 10 avril

Je n'arrivais pas à écrire

Je n'ose même pas lire ce que j'ai écrit dans les autres billets de blog, de peur de voir le gap entre avant et maintenant.

"Lundi 16 mars : Le confinement est proche"

Vendredi 10 avril, on y est toujours. Ça fait presque un mois, déjà, et ça me donne le vertige rien que d'y penser. Et en même temps, ça n'est pas prêt de s'arrêter.

Les plus optimistes parlent d'être confinés jusqu'à la fin du mois d'avril, mais j'ai moi même de la peine à voir pourquoi on sortirait de confinement si la situation n'aura pas changé d'ici là. Pas de vaccin avant au moins un an, est-ce que ça signifie une vie en point de suspension jusqu'à ce moment là ?

En points de suspension, c'est beaucoup dire. J'ai l'impression qu'à l'extérieur, tout est suspendu, alors qu'à l'intérieur, de ma maison, de moi, tout tourne vite, trop vite pour que je tienne le rythme.

Impossible de me détendre, je suis angoissé·e et je ne sais pas pourquoi. Je n'ai pas peur d'être malade, pas du tout.

Même si je me demande si, dans le futur, je pourrai aller voir mes grands-parents au débotté, comme avant, ou si je serai obligée de me confiner pendant 15 jours avant de pouvoir aller les voir.

C'est contre la situation géopolitique que je suis fâché·e. Enfin j'imagine (je ne suis pas sûre de grand chose en ce moment, et impossible d'y voir clair)

Je suis fâché·e contre le président de mon pays qui ne prononce à aucun moment les mots "confinement" mais à la place préfère parler de guerre.

Mais si ça n'était que ça (même si le reste en découle)

Je suis en colère de voir des parents devoir télé-travailler ou travailler tout court, au même rythme qu'avant, alors qu'ils doivent garder leurs enfants en parallèle. On les envoie tout droit au surmenage, et tout semble normal, comme si il n'y avait pas possibilité de s'adapter à la situation, exceptionnelle, pour alléger leur charge…

Je suis en colère lorsque je réalise que j'ai peur de sortir, une liberté qui me semblait tellement évidente auparavant. Car je n'ai plus le droit de sortir (librement).

Je me demande à quel point mes colères viennent simplement du fait que je réalise que je suis privilégié·e car je n'ai jamais eu d'angoisse à sortir en journée dans la rue…

Je suis en colère de voir les soignant·es qui appellent au secours depuis des mois être traité·es en héros, comme si ça leur permettait de dépasser leurs conditions humaines, alors qu'iels vont sortir de cette période en morceaux à devoir faire des choix impossibles et voir des personnes mourir seul·es car leurs familles ne peuvent pas venir les voir.

C'est horrible.

Je suis en colère de voir que le confinement en sécurité est un privilège de classe, que les travailleureuses manuels doivent aller travailler, et que l'arrêt de la production ne soit même pas une stratégie envisagée.

Je n'oublierai pas.

Je n'oublierai pas les travailleurs et travailleuses qu'on envoie sur les chaînes de montage d'avions ou de voitures, pour ne pas arrêter l'économie.

Je n'oublierai pas les caissières qui tombent malade car elles n'ont pas de protection alors qu'elles sont au contact de centaines de personnes.

Je suis tellement en colère et je me sens tellement impuissant·e.

Alors je me fais une promesse, à moi-même, celle de comprendre ce qui se passe pour moi, et ensuite de mettre en place les actions qui me sembleront nécessaires. De documenter tout ça, pour faciliter leur propagation.

De faire, faire, faire, de prendre soin des miens et de lutter.

Car je n'oublierai pas leurs choix, et je ferai les miens en résonance.