Pizza 2080 (partie 2)

Des GAFAM du futur, des clones d'Hitler, Batman déguisé en brebis et le retour des pizzas.

La première partie est disponible ici.

La prison des Poulets, dans la ville de Chicken-sur-Mer, était un ancien poulailler géant, transformé en prison après la Déclaration Universelle des Droits du Coq et de la Poule de 2072. Pas loin de la côte, cette prison était réputée pour être très accueillante, même si personne ne doit y sortir : cela était la directe application de la Prison Zuckerberg, théorisée dans les années 2020.

Avec les nouvelles technologies, il était désormais possible de créer des caméras de surveillance sous forme gazeuse, au lieu d'en installer manuellement partout.

Un geôlier se plaignait, à quelques cellules de là.

« Nein nein nein ! Che n'ai pas kommandé te kassoulet ! Ch'ai foulu tu poeuf pourguignon, portel de merte !

En apercevant les nouveaux arrivants, il se calma.

— Guten Tag les noufeaux ! Che suis fotre cheôlier fafori, M. Hilter. C'est ein plaisir te fous emprisonner. Ici, les horaires te sortie sont… chamais ! Achachach !… Eskusez-moi. »

Hilter, après avoir fermé la porte à double tour, s'en alla en levant les jambes très haut à chaque pas, tout en comptant « Ein ! Zwei ! Drei ! Vier ! » très fort.

« C'est le pire cliché que j'aie jamais vu, admit Henri-Gustave.

— Ah ça oui, ajouta Jean-Christophe. Quand j'étais encore humain, le corps d'Hitler n'était pas encore mis en open-source pour le clonage, ni même retrouvé. C'était le bon temps.

— Ch'ai tout ententuuuu ! Cria une voix allemande au loin.

Jean-Christophe avait oublié la vapeur de caméra.

— N'empêche que je me demande bien comment s'est débrouillée Marie-Alice, songea le vagabond.

— Oh, rien d'inquiétant, rassura le professeur. Elle saura se sortir de ce genre de situations. »


Pendant que les deux protagonistes étaient conduits en prison, l'étudiante tentait vainement de contacter le monde extérieur dans le Banana Cockpit. Malheureusement, l'altitude était maintenant trop élevée pour accéder à la plupart des réseaux.

« Eh mademoiselle, on va bientôt sortir de la stratosphère ! J'espère que vous êtes bonne en apnée parce que j'ai envie d'aérer un peu…

— NNNNOON !!

Marie-Alice bloqua l'accès au hublot, ce qui ne dérangeait pas Walter Melon pour autant.

— Ok si vous voulez on va mettre la clim' ! Parce qu'y commence à faire un peu chaud vous trouvez pas ?

— Mais non on se les pèle à mort ici ! Il doit faire −60 putains de degrés !!

Elle tremblait sous ses quatre couches de manteau de secours.

— Oui bah vous aurez moins froid quand on va atteindre la mésosphère, moi j'vous l'dis ! Pour vous réchauffer on va essayer de faire péter un astéroïde ou deux si on en croise…

— MAIS C'EST HYPER DANGEREUX

— Mais non ! Attache ta ceinture alors, ma jolie !

— Ne m'appelez pas comme ça !

— T'aurais pas un peu à boire sinon parce que-

— Bon ça suffit ! Je me casse de ce vaisseau !

N'en ayant strictement rien à branler, Marie-Alice ouvrit le hublot et sortit dans l'espace. Ses pieds rencontrèrent miraculeusement une planète minuscule pendant que Walter Melon marmonnait à propos de ses boissons favorites. On ne pouvait heureusement pas l'entendre dans l'espace.

Le Banana Cockpit s'éloignait à grande vitesse en direction de la Lune.


La nuit, la prison des Poulets n'était pas moins bruyante que pendant le jour. C'était la spécialité du bâtiment : la Mafia des Poulets faisait la fête, généralement jusqu'à cinq heures du matin, avant que Hilter s'entraînait à la peinture toute la journée, en criant n'importe quoi en allemand bien sûr.

En général, son frère jumeau faisait de la pétanque avec son cousin, mais ce jour-là, Hetlir avait cours de théâtre, ce qui laissait Hitrel tout seul à surveiller les prisonniers.

« Mais vous avez combien de frères, jumeaux, cousins ? Demandait un des autres prisonniers.

— Ach, che ne sais plus. Aux ternières noufelles, on est enfiron dreiundvierzigtausendsiebenhundertfünfundsechzig.

— Ah oui, ça fait beaucoup, remarqua Jean-Christophe. Plus important, quand sera-t-on jugé pour quoi que ce soit ?

— Chuché ? Ach la ponne plaque, Fous êtes un rikolo fous !

Hilter murmura quelque chose à Hitrel.

— Ach ja ! Le procès, ch'afais ouplié. Il aura lieu après-temain pentant la pause miti ! »

Voilà qui leur laissait deux jours en cellule, afin de tenter de se souvenir des lois locales en ce qui concerne les avocats.


Quand Marie-Alice fut enfin sortie de l'inconscience, une brebis était en train de brouter le peu d'herbe qui arrivait à pousser sur la planète minuscule. On arrivait à en faire le tour à pied en dix secondes. La codeuse avait du mal à respirer à cette altitude, et ne voulait pas comprendre comment la gravité fonctionnait ici : trop ésotérique.

« Ah, vous êtes enfin réveillée.

Marie-Alice aurait juré que le mouton venait de parler.

— Un mouton qui parle ??

— Mais non ! Je suis Batman.

Elle en avait marre de ces absurdités, quand le justicier masqué enleva son costume de brebis.

— Mais qu'est-ce que vous foutez dans un costume de mouton ????

— Brebis. Un costume de brebis.

— Ça ne change rien à ma question !

— Disons que j'étudie la réaction des gens face à mon costume, pour connaître le pourcentage de la population sachant distinguer un mouton d'une brebis.

— Un sondage, donc.

— Exactement.

Marie-Alice, pendant une demi-seconde, accepta l'idée.

— Ah, dans ce cas… MAIS VOUS FAÎTES ÇA DANS L'ESPACE ??!!

— Vous savez, j'ai pas envie de fausser les stats en choisissant un pays particulier. Par exemple, saviez-vous qu'en Nouvelle-Zélande, les…

— Mais il n'y a personne dans l'espace !

Batman prit le temps de regarder autour de lui.

— Bah si, on est déjà deux.

— Ça ne compte pas !

— Oh, allez. »

Immédiatement après, Batman en eût marre et s'envola, tout en notant quelque chose sur son carnet de bord.

Marie-Alice sentit une brise venant de la planète Terre, illuminée par le soleil. Il n'y a pas de vent dans l'espace, pensa-t-elle. Cependant, elle n'était bientôt plus dans l'espace : la Terre se rapprochait dangereusement.

Au moment de la collision, Marie-Alice se réveilla, dans la partie avant du train qui avait déraillée. Plus de trace de Walter Melon, qui était sans doute parti car la porte était grande ouverte.

« Quel rêve bizarre… Merde, Jean-Christophe ! Et Henri-Gustave !! »


Pour passer les contrôles de sécurité de la prison, Judas Nanas se déguisa en dictateur nazi.

« Guten Tag M. Rithle ! Che ne fous afais pas rekonnu au tépart, tésolé mais fous ressemplez à M. Hertil !

Judas Nanas prit un accent similaire.

— Cé né pas krave, ch'ai l'hapitute fous safez !

— Allez pon, fous poufez passer ! »

La voie était libre pour libérer les prisonniers. Dans la salle de contrôle, le gros bouton rouge « Tésaktifer les kaméras » était au centre de la pièce, et Judas s'assit dessus, ce qui tésaktifa les kaméras instantanément.

Personne ne s'en rendit compte sur le moment, car personne ne comprenait le modèle en quatre dimensions généré par les caméras gazeuses, qui demandait une inversion de matrices 7×7 ainsi qu'une résolution de systèmes à 48 inconnues, le tout mentalement et en dix secondes. Aussitôt, Judas Nanas fila en direction de la cellule de Jean-Christophe et Henri-Gustave.

« C'est moi, chuchota-t-il, Judas Nanas ! Je vais vous sortir d'ici !

— C'est très sympa de votre part Judas, remercia Jean-Christophe.

En tentant de déverrouiller la porte, l'infiltré s'aperçut qu'elle était ouverte depuis le début et qu'il suffisait de la pousser un peu.

— Voilà, maintenant on se barre d'ici ! »

Les autres dictateurs nazis étaient trop occupés à jouer aux fléchettes sur une carte de l'Europe pour remarquer quoi que ce soit. Toutefois, Hilter avait réussi à toucher le centre de la cible, à savoir la Pologne. Il était euphorique.

« Ach ke ça fait tu pien ! Fous tefriez tester, les prisonniers ! …Les prisonniers ? »

Il n'y avait plus personne de détenu dans la prison des Poulets. Le professeur et le vagabond étaient les seuls.

« Scheiße !! »


Lorsque Marie-Alice appuya sur le mode Avion, les réseaux mobiles n'étaient plus disponibles. « Mais c'est nul ! »

Les rêves étaient bien loin de la réalité. Une seconde plus tard, une accélération monstrueuse la plaqua à son siège, et les nuages défilaient à toute allure au-dessus… devant… en-dessous du cockpit.

On entendait une voix de synthèse annoncer la destination. « Prochain arrêt : la prison des Poulets. »


Quand Judas Nanas, Jean-Christophe et Henri-Gustave sortirent, ils distinguaient une météorite fonçant droit devant eux. « Putain de merde, on va crever ». Le prof avait encore perdu son vocabulaire de gentleman. Ce qu'il n'avait pas perdu, c'était bien le smarteau du vieux vagabond : le temps passé en prison lui avait permis d'apprendre comment cet outil fonctionnait.

Jean-Christophe pointa le marteau vers le ciel et appuya sur le bouton de son choix.


L'étudiante s'inquiétait à propos du sort du cockpit qui commençait à redescendre sous les nuages. Instantanément, un gant de base-ball géant apparut à côté de la prison des Poulets.

Bien que la collision était la plus adoucie possible, avec l'airbag en forme de peau de banane qui s'était déployé, Marie-Alice se heurta presque au mur de la prison, qui se révélait être composé intégralement de carton. Ledit carton, sous la pression minuscule qui lui était imposée, commençait à s'envoler, dispersant les caméras gazeuses et laissant à la lumière du jour une équipe de dictateurs autrichiens jouer au Scrabble.

Les protagonistes étaient enfin réunis.


« Dites-nous, Judas Nanas, comment vous êtes-vous sorti de ce bordel ? On vous croyait mort !

Celui-ci était encore déguisé en clone de nazi.

— En réalité, le smarteau m'avait bien "supprimé" du wagon-restaurant, mais avec un délai de quelques secondes dues au fait que j'étais pas vraiment gentil, mais pas si méchant que ça non plus.

— Mais on vous a vu mourir, rappela Henri-Gustave, avec du sang et tout, qu'est-ce qu'il y avait à votre place ?

— Oh, le sang ? C'était mon reste de gigot de chatons. J'en avais prévu un peu trop pour le midi, donc ça aurait fait un bon goûter. » Sur ces mots, il retira son costume et dévoila sa vraie nature. C'était Michèle Data, la benjamine de la fratrie des Data Brothers. Elle était venue pour assassiner les protagonistes au départ, mais depuis la scène de combat dans le train, tous ces mafieux qui se bagarraient pour un rien ne lui avait pas inspiré confiance.

« C'est dingue le nombre de gens qui sont irrités par l'ananas sur les pizzas, alors que quand je mets du steak de chiot sur les miennes, c'est tout de suite autre chose. »


Pendant ce temps, à Grenoble City, les affaires n'étaient pas joyeuses.

« Putain de bordel de parmesan ! Trouvez-moi ces terroristes et qu'on en finisse ! Compris ?

— Oui Monsieur. Tout de suite Monsieur. »

Jack Data obéissait fidèlement à Luigi Pizzacotti. L'un était l'aîné des Data Brothers, tireur d'élite et craint jusque parmi ses frères. L'autre savait aussi faire des tagliatelles carbonara. Par conséquent, c'était ce dernier qui commandait.

« Monsieur Luigi !

Bill Data était essoufflé, et il ne restait pas grand-chose des unités des FROMAGES qui lui étaient attribuées.

— Ces terroristes maîtrisent… l'ellipse narrative !

Ça, Luigi le savait déjà.

— …Mais encore ?

— Ils se sont échappés de prison !

Luigi venait de l'apprendre par télégramme.

— Rien de nouveau sinon ?

— Ah oui.

Bill Data sortit une feuille froissée de son gilet.

— J'ai fait un dessin de vous, avec une maison, un arbre, le soleil et des nuages !

Luigi attrapa le dessin, il appréciait l'intention.

— Oh, c'est gentil ça, on va le mettre avec les autres sur le frigo. »

Sous les yeux et le cœur sensible de Big, le patron de la Pizzeria se rendit dans la cuisine pour attacher le nouveau dessin coloré sur le frigo à pizzas, avec les aimants en forme de rondelles de chorizo. Ils étaient devenus une sorte de famille, ce qui était le but ultime des mafias, après la domination du monde.

Peu après, Luigi Pizzacotti retourna à la cuisine préparer le repas du soir, des galettes bretonnes. Tout ce beau monde s’endormit en rêvant de pizzas, de fruits frais et de brebis de l’espace.