Cette semaine comme promis on passe notre modèle de coop’, dans sa version pratique actuelle à la loupe avec les 7 principes de Jo Freeman. Comme pour la Louve l’article se fera sur deux semaines. Et j’ai le plaisir de passer la main à Lucie pour cet article, qui déjà lors de l’émission de radio enregistrée s’est penchée sur notre coop’. A plus. Ludo
Coopérative alimentaire à vocation autogérée, la Cocoricoop de Villers-Cotterêts semble s’inscrire à merveille dans ce que Jo Freeman nomme « l’absence de structure ». En effet, d’après moi, un des motifs de sa création est de se passer de toute forme de hiérarchie, et par là, de s’approprier, à titre individuel et collectif, les savoirs et le pouvoir nécessaires au fonctionnement d’une telle entreprise (au sens premier du terme, bien entendu, à savoir : « ce qu’on se propose d’entreprendre », selon le Petit Robert). Ainsi donc, et à l’inverse de la Louve, la coopérative parisienne, pas de salarié.es ici ; le même pouvoir pour tout le monde, la même possibilité d’action pour chacun.e au sein de la coop, et le même poids dans les décisions. Voilà pour la théorie. Mais en pratique, qu’en est-il ? La Cocoricoop saura-t-elle réellement passer au crible des sept principes tranchants de Freeman ? Se gardera-t-elle de succomber à l’appel des sirènes de la cooptation, de la logique affinitaire et du confort des structures de pouvoir préétablies ? Penchons-nous sans plus attendre sur cette question.
1. La délégation de l’autorité
Selon Jo Freeman, toute organisation collective devrait s’efforcer de déléguer des formes d’autorité spécifiques à des personnes, pour des tâches précises, créant ainsi une forme d’engagement de ces personnes. On l’a dit, à la Cocoricoop, on tend vers un idéal autogestionnaire, et donc une absence d’autorité – « droit de commander, pouvoir d’imposer l’obéissance », selon le dictionnaire tout-sachant. Dans l’idée, le pouvoir serait plutôt réparti chez tous et toutes. Concrètement, cela pourrait s’illustrer de deux sortes : soit par une répartition extrêmement équilibrée de l’ensemble des tâches à tous.tes les adhérent.es, ce qui demanderait un temps très long et une vraie préparation pour que chacun.e soit satisfait.e de la tâche qui lui est dévolue ; soit une deuxième possibilité, et c’est plutôt celle-ci qui définit ce vers quoi tend la Cocoricoop actuellement : pas de délégation spécifique, mais une implication égale des adhérent.es dans la répartition des tâches, de manière spontanée. Nous voilà encore dans la théorie. Concrètement, de quelles tâches parlons-nous, et qui s’y colle aujourd’hui à la coop ?
On peut évoquer d’abord les permanences. En effet, elles sont la façade extérieure de la coop, les moments qui permettent de se croiser entre adhérent.es, de faire découvrir la Cocoricoop à de nouvelles personnes, etc. Elles ont lieu trois fois par semaine (le mercredi soir et le samedi matin et après-midi, rejoignez-nous, vous serez pas déçu.es ! - fin du carton publicitaire), et elles nécessitent au moins une personne (au mieux, plusieurs) pour ouvrir le local et gérer l’accueil. L’inscription aux permanences se fait via un calendrier en ligne, par la bonne volonté de tous et toutes : pas d’obligation, pas d’engagement à tenir un certain nombre de permanences… Seulement l’idée, répétée (martelée ?) aux dernièr.es arrivant.es, que « pour que ça fonctionne, tout le monde doit participer ». Est-ce que cette tâche est effectuée par l’ensemble des personnes, de manière égalitaire ? Non. Est-ce que cela pourrait être le cas, étant donnés les outils existants ? Oui. On garde espoir, et on reviendra plus tard sur cette difficulté.
Autres tâches récurrentes : les commandes aux fournisseurs (Il s’agit en fait d’un ensemble de tâches : le choix des fournisseurs, la recherche des catalogues, le choix des articles à commander, la vérification des comptes, la réception de la commande, le calcul des taxes sur la facture, le déballage, l’étiquetage, le rangement des produits, et le paiement aux fournisseurs.). Quelques personnes se sont constituées en groupe de commande pour un de nos principaux fournisseurs, et se réunissent régulièrement à la coop pour choisir les prochains articles. Ce groupe s’est constitué de manière informelle et, a priori, sur des bases affinitaires. C’est-à-dire, de manière non « démocratique » ; mais le groupe est ouvert, et ne détient aucun monopole sur le passage des commandes. Il ne s’agit donc pas, à mon sens, d’une mise en péril du fonctionnement démocratique de la coop, mais plutôt d’une initiative d’auto-organisation permettant plus d’efficacité. Pour les réceptions de commandes, qui vont de pair avec l’étiquetage et la mise en rayon, un appel est habituellement lancé par mail par les personnes qui ont passé la commande ; les personnes disponibles se retrouvent alors à la coop. Ces moments sont particulièrement intéressants en ce qui concerne la délégation des tâches : on est à plusieurs (parfois beaucoup), les palettes pleines de cartons sont arrivées, c’est le rush, et il n’y a pas d’organisation préétablie ni de chef.fe pour nous dire quoi faire ! Chacun.e essaie donc de se trouver une tâche à effectuer, de s’inscrire dans l’organisation collective qui se met alors en place. C’est parfois laborieux, certainement moins efficace qu’avec des missions fixées à l’avance, mais c’est l’occasion de travailler notre capacité à faire ensemble, à communiquer, à apprendre à se servir d’une étiqueteuse, et j’en passe. Parfois, ces moments sont aussi l’occasion pour certaines personnes plus à l’aise, ou plus expérimentées, de prendre le lead, de devenir directives ; la vigilance collective est de mise pour les recadrer si cela va trop loin.
On voit donc que pour la plupart, les tâches à effectuer au sein de la Cocoricoop sont saisies de manière spontanée par les adhérent.es, sans qu’il y ait besoin de les attribuer précisément à des personnes. Toutefois, il faut mentionner deux exceptions à cela : quelques personnes, dites « référentes », ont une mission précise dans la coop. Il s’agit d’un « financier », qui a accès aux comptes bancaires et s’occupe des faire les virements pour les commandes, et d’une personne qui a pour rôle de surveiller l’argent disponible et de donner le feu vert pour les commandes. Le financier a été désigné de manière plutôt démocratique, lors d’une réunion à la création de la coop, sans vote mais de manière consensuelle ; il est supposé être à cette fonction pendant un an. La « surveillante » des comptes s’est proposée pour cette tâche, et a été désignée par le financier qui lui délègue une partie de ses attributions. Ici, la délégation s’est faite de manière non démocratique. Le « monopole » du financier dans la gestion du compte bancaire tend à se modifier : l’accès aux comptes est maintenant ouvert à d’autres personnes, et le financier essaie au maximum de passer le flambeau à d’autres. Lors de la création de la Cocoricoop, le rôle de comptable a été estimé comme étant le seul rôle difficilement supprimable ; il a été maintenu jusqu’aujourd’hui, probablement parce que le groupe n’a pas eu à se plaindre de l’existence de cette fonction.
2. La responsabilité des personnes devant celles qui les ont élues
Dans ce deuxième point, Freeman évoque le moyen pour un collectif de garder un contrôle sur les personnes en situation d’autorité : la responsabilité de ces personnes envers celles qui les ont choisies. Continuons avec l’exemple du « financier », qui a donc un statut exceptionnel dans la Cocoricoop. Ce statut lui a été conféré de manière consensuelle, mais aucune possibilité de révocation n’a été pensée ; il y a donc peu de moyens de contrôle sur lui2. Son engagement est d’un an, et il semble évident que s’il se met à se servir dans le compte de la coop, ou à interdire toute action bancaire, l’ensemble des adhérent.es exprimera son désaccord et lui demandera de céder sa place. On peut dire que ce fonctionnement suppose la bonne volonté des personnes à qui des tâches ont été déléguées ; il y a peu, voire pas de structures qui les réglementent.
Bien qu’il y ait peu de délégation de tâches spécifiques à des personnes, la notion de responsabilité reste importante pour le bon fonctionnement de la coop. En effet, personne n’a intérêt à ce que les tâches effectuées soient négligées ; la Cocoricoop profite à tout le monde de la même manière, elle est un outil collectif, et non un moyen d’asseoir un pouvoir.
3. Distribution de l’autorité au plus grand nombre possible
Comme on l’a évoqué pour le premier point, l’idée à la Cocoricoop, c’est que l’autorité soit à tout le monde, ou à personne ; que tout le monde puisse prendre part à toutes les tâches, toutes les actions. Il reste malgré tout les deux missions que nous avons mentionnées, qui ont été déléguées à deux personnes. Le rôle du financier s’est tout de même allégé depuis la création de la coop : l’accès au compte bancaire est maintenant détenu par d’autres personnes, la surveillance du compte n’est plus effectuée uniquement par lui, etc. Le monopole de sa fonction tend donc à se dissiper !
Il me semble important d’ajouter que cet idéal d’absence d’autorité ne s’obtient pas sans difficultés. Tout d’abord, d’un point de vue de l’efficacité : tout prend plus de temps quand on laisse les gens se saisir eux-mêmes des missions et des tâches à effectuer, sans les leur imposer ! De manière plus large, il peut être difficile de se sentir concerné.e ou investi.e alors qu’on n’a pas de rôle défini, de contrainte, d’engagement ; on est depuis toujours habitué.es à se reposer sur celles et ceux qui « savent », et à ne pas se penser capables de faire soi même. Cette difficulté peut expliquer que pour l’instant, sur les 110 personnes adhérentes, on remarque un groupe d’une vingtaine seulement qui sont présentes régulièrement à la coop, se connaissent, et prennent des initiatives. Pour les autres, le fonctionnement est peut-être encore peu clair, ou semble trop éloigné de leur fonctionnement habituel, et c’est un sujet d’amélioration constante que d’essayer d’inclure toujours plus les membres qui ne sont pas encore à l’aise dans ce bazar autogestionnaire.
Cette coop est donc une expérience d’apprentissage à l’autonomie sur bien des plans, et elle peut demander un vrai reformatage pour se saisir de la liberté qu’on se laisse en son sein. Voilà pour les trois premiers points, à la semaine prochaine pour terminer ce dur travail d’auto-critique !
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