La Louve au travers des 7 principes de Jo Freeman 2/2

"Comment agir sans s’entraver dans des structures aliénantes ?"

Salut salut, tu vois que tu pouvais me faire confiance cette fois ! Allez, sans blabla supplémentaire je te propose que l’on attaque direct la seconde partie de l’analyse de La Louve au regard des 7 critères évoqués dans « La tyrannie de l’absence de structure » de Jo Freeman (première partie ici).

Principe 5 : Répartition des tâches selon des critères rationnels. […]

« […] La capacité, l’intérêt et la responsabilité doivent être les critères qui comptent dans une telle sélection. » et non la sympathie, ajoute-t’elle. Je vais donc pour trois cas différents à la Louve voir ce qu’il en est de ces éléments là.

Employé·e·s

Je signalais lors du principe que des personnes à la Louve regrettent que concrètement les embauches se sont faites en faveur de personnes proches des autres employé·e·s. La sympathie (et éventuellement la compatibilité de point de vue) rentre donc dans l’équation.

Néanmoins on peut faire confiance dans les employé·e·s en place pour ne pas faire embaucher quelqu’un qui serait un·e boulet au quotidien, même si c’est un·e pote. Les fraichement employé·e·s sont souvent membres depuis un moment et connaissent l’essentiel du fonctionnement de la structure et de ses enjeux.

La question de la motivation est délicate car biaisé par le salaire à la clé. Je ne connais pas de mécanisme mis en place qui s’assurerait que la motivation est toujours présente un an plus tard et reste l’élément essentiel de l’investissement de la personnes (et non garder son poste).

Coordinateur·rice·s des bénévoles

Là je suis embêté, je ne sais pas de quelle manière la sympathie d’une personne entre en jeu dans l’attribution de cette fonction. Je ne peux que supposer que vu que c’est un·e employé·e qui délègue ça rentre forcément en compte mais autant il·elle·s ont une grille précise hein ! « Ah bah bravo, quel travail d’enquête lamentable ! ». Oui bon bah, j’ai pas pensé à me renseigner là dessus lors de mes recherches et de ma visite. Du coup, tu vas toi chercher l’info et tu la partages en commentaire !

Et la capacité ? De manière générale une personne qui se retrouve à cette fonction est membre de la Louve depuis un moment et a donc fait pas mal de permanences comme bénévole. Il·elle a alors pu avoir l’occasion de découvrir les différents postes. En revanche rien ne garanti sa capacité à encadrer d’autres bénévoles et prendre des décisions justes. Je ne sais pas si il y a en place un principe de cooptation : étant donné que le groupe de bénévole sur un créneau est à peu près toujours le même on peut imaginer qu’un·e coordinateur·rice qui cesse pourrait suggérer un·e autre membre comme remplaçant·e.

Bénévoles

Les bénévoles effectuent des tâches assez simples : peser, découper, ranger, mettre en rayon, stocker, accueillir à l’entrée, la caisse, le ménage, etc. La capacité requise est faible et la position de pouvoir à en retirer très faible. Il n’y a donc pas trop d’enjeux. La répartition des tâches se fait selon la décision du·de la coordinateur·rice mais il est possible de discuter avec et se voir attribuer quelque chose pour laquelle on a une préférence (par exemple si j’ai mal au dos on ne va pas me faire porter des cartons mais plutôt me mettre à la caisse). Il n’y a pas de rotation instituée, là aussi ça se discute. La motivation elle n’est pas forcément au rendez-vous. Pour rappel chaque membre doit faire un créneau de 3h toutes les 4 semaines. Si il·elle rate son tour alors pour rattraper et avoir le droit de continuer à faire ses courses là la personne est obligée de rattraper son tour et de faire un créneau en sus ! Bim. D’ailleurs si ce système d’heures obligatoires est là c’est parce qu’il est constaté (par ceux du slope park food coop à Brooklyn dont la Louve s’inspire) que des motivés il y en a pas assez pour faire tourner la boutique.

Pour conclure sur ce principe on peut voir que pour l’accès à diverses fonctions à la Louve il n’y a guère de cadre institué et cela se fait principalement au travers des rapports humains. Le bon sens et le soucis d’efficacité amène ces acteur·rice·s à favoriser les personnes motivées et compétentes. Néanmoins on a pu voir que pour les bénévoles ce n’est pas gagné et que pour les autres cas il n’y a rien qui garanti la primauté de ces critères sur la sympathie.

Principe 6 : Diffusion de l’information à tout le monde, le plus fréquemment possible. […]

Je différencierais trois diffusions : vers l’extérieur, vers l’intérieur et vers les nouveau·elles.

Vers l’extérieur les employés sont ceux qui principalement répondent aux interviews, que ça soit à la radio, à la télé, sur youtube ou dans la presse écrite. C’est également eux qui sont en charge des informations diffusées par les comptes officiels sur les réseaux sociaux et sur le web en général. Par ailleurs il y a apparemment un petit groupe de gens très motivé et actif qui intervient souvent pour défendre (contre des critiques donc, peut être en verront nous débarquer un jour ici dans les commentaires ;) ) la vision des employé·e·s sur les réseaux sociaux. Cette diffusion de l’information vers l’extérieur est donc principalement dans les mains des mêmes personnes qui ont la plupart des pouvoirs à la Louve et difficilement saisissable par d’autres personnes, en particulier avec des points de vue différents.

Vers les membres : il y a quelques affichages dans le magasin (principalement à l’entrée sur les heures d’ouverture et autres ou les photos des employé·e·s). Néanmoins pas de quoi saisir l’intégralité du fonctionnement de la Louve et encore moins ses subtilités. Au sein du magasin il y a aussi quelques éléments d’affichage et d’organisation du travail des bénévoles. Les AGs sont régulières et permettent également aux employé·e·s principalement de faire circuler de l’information. Malheureusement peu de gens assistent à ces réunions. Enfin la communication faite vers l’extérieur sur les réseaux sociaux peut également être à destination des membres. Je ne sais pas si par ailleurs il y a une mailing liste ou une newsletter supplémentaire par lesquelles de l’info circule.

Enfin il y a des créneaux d’accueil spécifique aux nouveaux·elles membres. Ils permettent de préciser le fonctionnement du supermarché, des obligations des membres (acheter des parts et 3h de travail toutes les 4 semaines). Et c’est couplé à une petite visite. C’est théoriquement très positif. En pratique ça semble assez superficiel. Lors de ma visite là bas j’ai pu discuter avec 5 ou 6 personnes et seulement deux d’entre elles étaient assez pointues sur le fonctionnement et les autres j’en savais déjà surement plus qu’eux. D’ailleurs anecdote notable : pendant 10 minutes de balade dans le magasin nous étions accompagné par une membre récente (3 mois) et pas forcément très intéressée par les détails de l’organisation visiblement. Comme elle ne pouvait pas répondre à la plupart de nos questions elle nous a redirigé vers plusieurs autres personnes (elle avait donc au moins pu identifier un ou deux interlocuteurs qui peuvent avoir des réponses à des questions). A la fin elle nous a dit qu’elle avait appris plus de choses en 10 minutes que en 3 mois depuis son inscription…

« L’information c’est le pouvoir » nous dit Jo Freeman dans le détail de ce principe. Ici ce pouvoir nous pouvons constater qu’il est principalement dans les mains de quelques personnes et qu’il est assez mal réparti vers l’ensemble des membres. Néanmoins on peut constater qu’il y a plusieurs moyens de s’informer si on le souhaite et qu’un effort est fait pour les nouveaux·elles arrivant·e·s (probablement pas pour diffuser le pouvoir d’action mais surement pour s’assurer que la boutique tourne, mais tout de même !).

Principe 7 (c’est le dernier ! ) : Accès égalitaire à toutes les ressources. […] Un membre qui entretiendrait un monopole sur une ressource nécessaire peut influencer indûment l’accès à cette ressource. Les compétences et connaissances sont également des ressources. […]

Au niveau des connaissances on a pu voir au dessus qu’elle est assez mal répartie. En revanche, si on a pas peur de déranger les uns ou les autres il est facile d’identifier qui peut vous donner des informations ou de fil en aiguille arriver à la bonne personne. Même si parfois la seule réponse que l’on a eu, même après avoir remonté une piste sur plusieurs personnes était : il faudrait demander aux employés là, eux ils savent. Et d’ajouter que l’on peut les déranger si on insiste mais qu’ils sont très occupés. Pour les connaissances nécessaires aux bénévoles, on a vu qu’elles sont légères et là il y a d’une part les autres bénévoles et d’autre part le·la coordinateur·rice. C’est pour les connaissances stratégiques que ça pêche un peu plus donc.

Le matériel j’avoue ne pas trop savoir. Etant donné que à chaque créneau de 3h il y a un autre groupe de bénévoles pour ouvrir le supermarché il n’y a pas de monopole installé sur l’accès aux choses nécessaires à ce taf là. En revanche pour les outils de gestion évidemment ce sont les employé·e·s qui ont accès et pas le reste des membres. A priori difficile de voir la compta, le catalogue d’un grossiste ou accès aux outils de communication.

Voilà, c’est tout pour ces 7 principes ! (Et c’est déjà pas mal). L’occasion de vous les faire découvrir et les dérouler sur un cas concret. J’avais prévu de faire une petite synthèse de ce que tout ça nous dis sur la Louve et son fonctionnement démocratique mais 1) l’article est déjà long ; 2) mon avis est déjà surement assez clair ; 3) je te laisse te faire le tiens ; 4) la semaine prochaine (et surement la suivante) nous déroulerons à nouveau ces 7 principes sur notre coop et à l’issue de ça je ferais un article avec une synthèse comparative des deux.

A plus !