La semaine dernière j’ai ouvert un large sujet : comment je créais ma coop’ pour que ça soit un lieu convivial. Une réponse que je t’apportais : supprime au maximum les enjeux de pouvoir. Je t’avais plus ou moins promis que nous verrions plus concrètement cette semaine comment nous nous y sommes pris dans notre coop’. Et bah nooon ! Ah ah ! Naif·ve ! C’est mon blog ! Je fais ce que je veux ! Je vais pas commencer à me laisser dicter mes sujets par le premier traine-patin venu. Oh !
Alors rassure toi, je ne fais qu’un petit détour voir je ménage mes effets, tel un auteur qui passe d’une histoire parallèle à une autre : au final elles convergent toutes à une conclusion commune. Ça me permet de faire un peu d’auto-promo en plus. Cette semaine, avec deux comparses, nous avons enregistré la première d’une émission radio sur la démocratie. Elle sera disponible dans les semaines qui suivent, t’en fais pas, je tiendrais au jus. Le rapport ?! Mais le pouvoir mon·ma petit·e pote. Cette émission c’était l’occasion de parler d’un texte intitulé « La tyrannie de l’absence de structure » de Jo Freeman. En gros ça dit que dans tout groupe non structuré se met en place des élites informelles qui accaparent le pouvoir. Elle énonce à la fin 7 critères qui permettent de juger si malgré tout le groupe reste « démocratique ». (Curieux·se ? Le texte fait seulement 25 pages et est dispo ici au téléchargement. Tu es autorisé·e à faire une pause pour aller le lire. Mais reviens ensuite !) En quoi ça nous concerne ici ? Si tu suis ce blog depuis un moment tu as déjà pu te faire une petite idée du fonctionnement de la coop’ et son caractère très informel et son ambition de réduire au maximum les prises de pouvoir. Néanmoins… échappe t’elle à la formation d’élites informelles ? La réponse... dans trois semaines ! Mouhaha.
Aujourd’hui et la semaine prochaine on se fait les dents avec ces 7 principes sur la Louve ! Encore ! A croire que finalement je voue un culte secret à ce supermarché. Ou pas. C’est juste que ça fait un point de comparaison, c’est moins abstrait pour toi et ça augmente les chances que tu piges quelque chose à ce que je baragouine. La Louve c’est quoi ? Un supermarché coopératif dans Paris XVIII, 4500 membres actifs, 10 salariés et les membres doivent travailler à la Louve 3h toutes les 4 semaines… pour le reste je te renvoie aux articles que j’ai déjà écris dessus.
Principe 1 : La délégation par des méthodes démocratique, de formes spécifiques d’autorité, à des personnes concrètes et pour des tâches délimitées. […]
Quel est déjà la contexte démocratique de la Louve ? C’est une SAS mais plus particulièrement une Coopérative de consommation. Elle rentre à ce titre dans les entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) et est obligé légalement d’avoir une gouvernance « démocratique » dont la modalité principale est : 1 membre = 1 voix. Peu importe le nombre de parts possédées de l’entreprise. A la Louve il y a une AG tous les deux mois pour décisions principales. Théoriquement les questions de délégation peuvent être votés en AG. Une AG est elle un lieu d’expression démocratique ? • 8000 membres à la Louve dont 4500 actifs. Une AG ne permet pas à autant de monde de s’exprimer. • D’ailleurs concrètement il n’y a que 100 personnes aux AGs. Ce qui réduit d’emblée la portée démocratique en pratique de cette modalité là. • En plus sur 100 personnes il y a les dix employés, ce qui complique le contre-pouvoir d’autant qu’ils sont soutenus par un groupe de personnes très impliquées. • AG trop rares par rapport aux nombres de points à traiter ce qui ne permet pas le débat.
Employés
La totalité des tâches de gestion (choix des produits, des fournisseurs, commandes, compta, versement salaires, gestion des bénévoles, communication, formations à l’extérieur, etc) est déléguée aux employés. Vu que c’est tout c’est pas vraiment délimité. Cette délégation est elle réalisée démocratiquement ? En théorie oui car l’AG a le dernier mot pour les embauches ou les licenciement. En pratique des membres se plaignent que les premiers employés ont casé leurs potes.
Coordinateurs des bénévoles
Sur un cycle de 4 semaines, pour chaque créneau de 3h d’ouverture du supermarché il y a un groupe de 15 à 20 bénévoles. (Par exemple Jean travaille avec 16 autres personnes le jeudi en semaine 3 de 9h à 12h). Un bénévole se retrouve à peu près toujours sur le même créneau donc les groupes sont à peu près stables. Il y a par créneau un·e bénévole « coordinateur·rice ». Son autorité est bien délimitée : assigner les autres bénévoles à des postes et s’assurer que l’ouverture se passe bien (fonctionnement donc qu’il·elle n’a pas le pouvoir de modifier). Est ce que l’AG choisi les coordinateur·rice·s ? Non, bien sur, ça serait trop compliqué : un·e coordinateur·rice toutes les 3h sur 4 semaines, ça en fait un paquet à élire ! Est ce que alors c’est le groupe de bénévole du créneau qui choisi en son sein celui ou celle qui a cette autorité ? Non plus. Il·elle est mis en place par les employé·e·s en charge de la gestion des bénévoles. Non démocratique donc (ou alors comme extension de l’autorité déléguée aux employé·e·s…)
Principe 2 : Exiger des personnes à qui une autorité a été déléguée qu’elles soient responsables devant celles qui l’ont élue. De cette manière le groupe garde un contrôle sur les personnes qui se trouvent en position d’autorité. [...]
Comme dit plus haut, l’AG a le dernier mot pour tout et est considérée par des membres (voir mon texte précédent sur la Louve) comme le seul moyen de contrôle prévu sur les employés à la Louve. En pratique… dix employé·e·s plus leur groupe de soutient représentent une large partie des présents en AG. Ces dix employé·e·s prennent des micros-décisions au quotidien et une AG tous les deux mois ne permet pas de les passer en revue, les AGs sont déjà trop chargées d’ailleurs. Ne fonctionne que pour les défaillances majeures.
Employés
Il semble il y avoir un glissement dans la perception qu’ont les employé·e·s de la fonction des AGs. Il m’était confié par un bénévole lors de ma visite là bas que les employé·e·s souhaitent espacer les AGs car elles ne remplissent par leur rôle qui est de « permettre l’émergence d’initiatives des membres ». En gros de leur point de vue l’AG n’est pas avant tout un outil de contrôle des autres membres sur le pouvoir qui leur est délégué mais un espace de prise d’initiative de ces membres...
Une phrase visible sur leur site web me semble illustrer elle aussi cette volonté des employé·e·s de se situer hors du contrôle direct des autres membres : « Tout membre a la possibilité de proposer des produits. Tout membre peut informer et débattre avec d’autres sur les enjeux qui leur semblent importants mais aucun coopérateur ni petit groupe de coopérateurs ne peut interdire la mise en vente d’un produit. Le facteur décisif qui oriente les acheteurs-salariés dans le choix des produits à conserver ou non est le taux de vente [...] ». Ça me semble assez explicite. Et pour conclure est ajouté : « [….] est le taux de vente : l’outil le plus démocratique qui reflète fidèlement les réelles habitudes de l’ensemble des membres. » Alors pourquoi pas… sauf qu’il faut bien que j’achète des pâtes et j’en prends parmi celles qui me sont proposées. Le choix de ce qui m’est proposé en amont lui n’est pas démocratique pour un sou. Démocratie = choisir entre des réponses imposées par celles et ceux qui ont l’autorité. Wouhou !
Coordinateurs des bénévoles
L’AG théoriquement peut intervenir mais difficile de faire remonter que sur le créneau en semaine 4 le samedi de 14h à 17h certains se plaignent de leur coordinateur. Ça se passe plutôt en allant voir à plusieurs l’employé dédié. Les coordinateurs ne rendent donc réellement des comptes que aux employé·e·s en charge de la gestion des bénévoles.
Principe 3 : « La distribution de l’autorité au plus grand nombre de personnes raisonnablement possible. Cela empêche qu’il ne se créé un monopole du pouvoir et exige de spersonnes qui se trouvent à des postes d’autorité qu’elles en consultent beaucoup d’autres [...] ».
On l’a vu la totalité de l’autorité est dans les mains de 10 personnes. Sur 4500 ou 8000 membres c’est moyen délégué.
Pour les coordinateurs de bénévoles il y a du mieux ! Il y a entre 50 et 100 bénévoles qui ont cette fonction ! Néanmoins… leur autorité est quasi nulle, si ce n’est pour diriger les autres bénévoles de leur créneau. Ce ne sont pas ces personnes qui décident de ce qu’il y a à faire ou comment se tient le supermarché sur leur créneau.
Hélas pas grand-chose à dire de plus. Rien de prévu concrètement pour cette distribution de l’autorité qui est ultra concentrée.
Principe 4 : « Rotation des postes entre différentes personnes. Les responsabilités qui sont portées trop longtemps par une personne, formellement ou informellement, peuvent être perçues comme les « propriétés » de cette personne et ne sont plus facilement cédées ni contrôlées par le groupe. »
Pas grand-chose à dire non plus… : aucun mécanisme à ma connaissance de rotation des postes n’est institué. Evidemment pour les employé·e·s c’est compliqué à moins de ne créer que des emplois précaires… tu parles d’un système. L’erreur initiale est d’avoir des employé·e·s (de surcroit à qui on donne autant de pouvoir) qui empêche cette rotation. Pour les coordinateur·rice·s, pas non plus de rotation institutionnalisée. Voilà quelques éléments d’information pour les quatre premiers critères et quelques pistes d’analyse personnelles. La semaine prochaine (pour de vrai) on finira avec les trois deniers critères et je synthétiserais mon analyse à la fin.
Si tu as d’autres éléments à apporter ou des corrections : la section commentaires est là pour ça !
Bises
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