La montagne qui venait du fond des mers

Par une fraîche matinée d'été, Tyrin part randonner.

Tyrin salua les gardes en sortant. La journée s'annonçait radieuse, et le soleil matinal éclaboussait les armures et les lames de reflets chatoyants. Un peu de brume s'échappait du sol humide, revigoré par une fine pluie nocturne. Une charrette arrivait, probablement d'un village des environs, pour approvisionner la ville en fruits et légumes. Mais pour l'heure, le nain ne cherchait pas à boire, mais à se rendre dans une ancienne vallée glaciaire des environs. Il y serait probablement vers onze heures, et atteindrait un lac vers midi, parfait pour un pique-nique ! Il voyageait assez léger, son sac et ses poches quasiment vides ne contenait que son repas, une gourde (d'eau, il convient de préciser), et une petite flasque d'eau de vie de pomme. Il descendait la route pavée, rencontrant occasionnellement des voyageureuses. On pouvait voir la brume plus loin, au fond de la vallée. Puis, il arriva à l'intersection dont une branche s'enfonçait dans une petite vallée boisée. Au milieu, comme dans toute bonne vallée, un ruisseau coulait sur un lit de galet, et plongeait sous un pont de pierres qui permettait au chemin de rester sec. Le chemin suivait plus ou moins fidèlement la rive, contournant de temps à autres de grands rochers. Le tout était entouré d'une végétation verdoyante : arbustes et rhododendrons entouraient des pierres éboulés. Une bergeronnette chassait à proximité de l'eau. Elle sautillait sur les galets émergés, sa queue frétillant de haut en bas. Tyrin s'enfonça au milieu de ce fouilli champêtre, notant au passage que des champignons poussaient dans certains creux. Il ne faisait pas de pause, mais ne marchait pas trop vite. Rien ne sert de s'essouffler. La marche est avant tout une activité régulière et tranquille. Au bout d'une petite heure, les arbustes laissèrent place à la prairie de montagne, composée de hautes herbes, de fleurs et papillons. Les insectes bourdonnaient en butinant les fleurs, une aubaine pour les apiculteuristes de la vallée. Sur les pentes, à l'écart du chemin, des marmotte montaient attentivement la garde, et sifflaient par instants, lorsque Tyrin se rapprochait un peu trop d'elles.

Le chemin se fit peu à peu plus sinueux. Il fallait en effet franchir une sorte de verrou rocheux, pour arriver à un petit lac glaciaire. La terre sur le chemin n'était plus humide et sombre, mais sèche et poussiéreuse. Un vent s'était levé, et si Tyrin n'avait pas été échauffé par l'effort, il aurait probablement porté une épaisseur de plus. Il lui fallut une heure pour atteindre le lac. L'eau bleue turquoise dénotait parmi les roches sombres et grises qui l'entourait. A cette altitude, plus grand chose ne poussait. Les montagnes noires étaient nues. Certaines plaques de rochers, sur lesquelles coulaient des filets d'eau, luisaient sous le soleil. Tyrin était plutôt en avance sur ses prévisions. Il se rapprocha de l'eau, et plongea ses mains dedans. Il les ressortit rapidement, l'eau était glacée. Tyrin observa les alentours. Il hésitait où aller. En ce début d'été, les névés n'avaient pas tous fondus, et aller inspecter la face nord n'était probablement pas le plus judicieux, mais les faces ouest et sud étaient quasiment entièrement sans neige. Il décida de grimper vers le sud. La progression parmi les roches sombres, parfois instables n'était pas très rapide, d'autant que Tyrin inspectait constamment le sol. Il finit par s'arrêter et s'installa entre deux rochers à l'ombre. Il sortit sa gourde et son repas de son sac. Il avait là une paire de sandwich, du fromage de vache incrusté de noix, avec quelques rondelles de champignons, entre deux belles tranches de pain à la farine de sarrasin. Pour le dessert, il avait des fruits secs, figues, noix et noisettes, ainsi que quelques framboises. Il mangeait doucement, en prenant son temps et observant le paysage. Avec un peu de chance, peut-être observerait-il des bouquetins, voire des chamoix ? Un fois fini, il se servit un fond d'eau-de-vie. Puis il s'étendit sur le replat, le sac sous la tête, et ferma les yeux. Les nains, tout comme la plupart des espèces, apprécient faire une sieste, surtout sur des dalles de pierre chauffées par le soleil.

Au bout d'une demi-heure, il se réveilla, s'étira, rangea ses affaires et inspecta les environs. Après tout, il était là dans un but précis. Certes, le paysage était splendide, et Tyrin aimait beaucoup la randonnée. Mais aussi, comme beaucoup de nain·e·s, il aimait les pierres, et particulièrement certaines. Il était à la recherche de fossiles. Les montagnes ici avaient un jour été au fond de mers peu profondes, et au cours du temps et des mouvements des couches terrestres, les sédiments s'étaient retrouvés au sommets de pics 3000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Cependant, entre temps, ces organismes s'étaient fossilisés, et les matières organiques étaient devenues des roches. A cette époque, aucune espèce actuelle n'existait déjà. Même les dragons n'étaient qu'un lointain futur. Cependant, vivaient dans les océans, des calmars à coquilles, les Ammonites, des sortes d'insectes aquatiques, les Trilobites, ainsi qu'une mutlitude de coquillages. Avec le temps, ces organismes étaient devenus des fossiles, et Tyrin les cherchait. Cependant, ce n'étaient pas une tâche facile. Les fossiles pyritiques ne faisaient pas tache sur les roches sombres. Seuls leurs reflets les trahissaient. C'est pour cela que Tyrin avait prévu de passer plusieurs heures pour en chercher. Il marchait en parallèle à la pente. De temps à autres, il sortait un marteau et un burin, et brisait certaines roches. Il trouva assez vite une petite ammonite, mais passa un certain temps avant d'apercevoir un trilobite qui affleurait d'un rocher. Le gel de l'hiver avait visiblement aidé à dégager celui-ci. Au cours de l'heure qui suivit, il trouva deux bivalves, dont un en assez mauvais état, une ammonite et deux coprolithes. Il était désormais plus de 14h, et compte tenu du temps de marche pour rentrer, il restait bien à Tyrin une bonne heure et demi, voire deux heures. Il continua donc ses recherches sous le soleil. Il découvrit un segment de coquille d'une grande ammonite. Vu la taille, elle devait bien faire 40cm de diamètre. C'était un sacré morceau, mais il ne vaudrait pas énormément. Ce n'était qu'un fragment, et si ces ammonites massives valaient parfois beaucoup, juste un morceau n'avait que peu de valeur. Mais toujours est-il que Tyrin était toujours ravi de faire ce genre de découvertes, et d'imaginer que des créatures avec autant de carapace navigaient dans les océans, fuyant de terribles prédateurs. A la fin du temps qu'il s'était alloué, il avait quelques trilobites et ammonites en plus. Il était satisfait de son travail. Il lui était déjà arrivé d'avoir des récoltes plus fructueuses, mais ceci lui convenait. Il lui fallait maintenant rentrer.

Le nain revint donc en arrière, marchant entre les pierres noires. A un moment, il remarqua un trilobite qu'il avait loupé en montant. C'était un petit rappel qu'il y avait des fossiles partout dans ces roches, et que Tyrin en manquerait toujours quoi qu'il en soit. Il rangea la pierre dans sa poche. Il redescendit le verrou dans la lumière décroissante de l'après-midi. C'était la fraicheur après la chaleur, l'opposée de la montée du matin. Rapidement il retrouva le ruisseau, et le suivit jusqu'au chemin. Derrière lui, le soleil commençait à rougir. D'ici une heure, il serait dans une taverne avec une choppe bien fraiche.