Eric Zemmour et Chateaubriand

Eric Zemmour, comme la plupart des intellectuels médiaques, raconte de nombreux bobards. Depuis qu'il n'y a plus de critique littéraire, ce que déplorait le regretté Cornelius Castoriadis dès 1979, ces vedettes écrivent et disent à peu près n'importe quoi pourvu que cela se vende et que l'on parle d'eux.

Eric Zemmour se plaît régulièrement à attribuer à Chateaubriand, dans ses livres et chroniques dans les médias, la formulation «Détruisez le christianisme et vous aurez l’Islam» (reprise ensuite en gros titre dans un numéro spécial de Valeurs actuelles). Chateaubriand n’a pourtant jamais dit ou écrit cela. Aucun média ne l’a relevé et c’est bien dommage.

Cette citation est une mauvaise interprétation du chapitre 55 de son ouvrage «Essai sur les révolution». Celui-ci a été publié pour la première fois en 1797. C’est à partir des notes ajoutées par son auteur dans la nouvelle édition de 1826 que Zemmour a cru bon faire dire à Chateaubriand ce qu’il n’a pas dit. Le titre de ce chapitre est «Quelle sera la religion qui remplacera le christianisme ?».

Après ses nombreux voyages dans l’Empire ottoman, Chateaubriand a choisi volontairement ses sources d’informations afin qu’elles conviennent parfaitement à ses ambitions politico-religieuses, et qu’ainsi elles plaisent à la couche sociale à laquelle il adressait ses livres. Pour montrer la beauté morale et poétique du christianisme, il insiste sur les défauts des autres religions, et plus particulièrement de l’Islam. Les musulmans ne sont présentés négativement par Chateaubriand qu’à travers la politique et l’histoire turque néfaste.

Chateaubriand est loin d’être le seul auteur de son époque à exprimer un rejet parfois féroce de l’Islam. Ce fut le cas de Bossuet, Montesquieu, Voltaire, Alfred de Vigny, Flaubert ou Schopenhauer. Faut dire qu’à cette époque la merveille des merveilles était l’Occident (on n’est jamais mieux servi que par soit-même comme on dit).

Malgré cela, dans la première édition de son livre, Chateaubriand n’évoque pas l’hypothèse d’une invasion musulmane, mais d’une autre religion. Cependant, il n’y croit pas du fait de la puissance de l’armée française :

«Peut-on supposer que quelque imposteur, quelque nouveau Mahomet, sorti d’Orient, s’avance la flamme et le fer à la main, et vienne forcer les chrétiens à fléchir le genou devant son idole ? La poudre à canon nous a mis à l’abri de ce malheur.»

Dans une note qu’il a ajoutée dans sa nouvelle édition, il évoque la possibilité d’une invasion de l’Islam dans l’hypothèse où l’armée française aurait formé au combat des musulmans selon son art militaire. Chateaubriand s’est bien planté à ce sujet, puisque des soldats musulmans des colonies françaises ont bien bel et bien été formés pour aider la France à combattre l’ennemi pendant la première et la seconde guerre mondiale, sans pour autant que ceux-ci se soient retournés contre l’armée française. C’est un délire qu’auront d’autres auteurs à propos des immigrés italiens au début du XXe siècle. Ceci-dit, malgré cette crainte, dans une autre note de la nouvelle édition ajoutée un peu plus loin, il pense que le progrès des lumières ne pourra plus être arrêté. Ne serait-ce que grâce aux nombreuses colonies occidentales. Il évoque d’ailleurs dans ce même chapitre une autre hypothèse au sujet du remplacement du christianisme :

«Ne serait-il pas possible que les peuples atteignissent à un degré de lumières et de connaissances morales, suffisant pour n’avoir plus besoin de culte ? La découverte de l’imprimerie ne changera-t-elle pas à cet égard toutes les anciennes données ? Ceci tombe dans le système de perfection que j’examinerai ailleurs; je n’ai qu’un mot à en dire ici.»

Dans son livre «Génie du christianisme», Chateaubriand consacrera un chapitre cette fois-ci sur le thème «Quelle serait aujourd’hui l’état de la société si le christianisme n’eut point paru sur la terre ?».

Voir dans les déclarations poussiéreuses de Chateaubriand une prophétie n’est qu’un pur délire doublé d’un anachronisme évident. Cela n’a pas empêché Zemmour d’obtenir le prix Combourg Chateaubriand pour son livre «Le Suicide français». Triste période où le mensonge règne en roi.