La parabole des mines

Dans ce billet, je vais donner une explication bien différente de celle couramment admise au sujet de la parabole des mines extraite de l'Evangile selon saint Luc. Cette version est plus complète que la parabole des talents de l'Evangile selon saint Matthieu et, je pense, plus proche de la version d'origine exprimée par Jésus.

Pour bien comprendre cette parabole, il faut la replacer dans son contexte. Jésus était en direction de Jérusalem où il allait subir sa passion (crucifixion). Il venait de rendre visite à Zachée, riche chef des collecteurs d’impôts haït par ses concitoyens, qui lui avait annoncé qu’il faisait don aux pauvres de la moitié de ses biens et que, s’il avait fait du tort à quelqu’un, qu’il allait lui rendre quatre fois plus. Jésus dit à son sujet : «Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham. En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.»

Voici la suite du récit:

«Comme on l’écoutait, Jésus ajouta une parabole: il était près de Jérusalem et ses auditeurs pensaient que le royaume de Dieu allait se manifester à l’instant même. Voici donc ce qu’il dit:

«Un homme de la noblesse partit dans un pays lointain pour se faire donner la royauté et revenir ensuite. Il appela dix de ses serviteurs, et remit à chacun une somme de la valeur d’une mine; puis il leur dit : “Pendant mon voyage, faites de bonnes affaires.” Mais ses concitoyens le détestaient, et ils envoyèrent derrière lui une délégation chargée de dire : “Nous ne voulons pas que cet homme règne sur nous.” Quand il fut de retour après avoir reçu la royauté, il fit convoquer les serviteurs auxquels il avait remis l’argent, afin de savoir ce que leurs affaires avaient rapporté. Le premier se présenta et dit: “Seigneur, la somme que tu m’avais remise a été multipliée par dix.” Le roi lui déclara : “Très bien, bon serviteur! Puisque tu as été fidèle en si peu de chose, reçois l’autorité sur dix villes.” Le second vint dire: “La somme que tu m’avais remise, Seigneur, a été multipliée par cinq.” À celui-là encore, le roi dit: “Toi, de même, sois à la tête de cinq villes.” Le dernier vint dire: “Seigneur, voici la somme que tu m’avais remise; je l’ai gardée enveloppée dans un linge. En effet, j’avais peur de toi, car tu es un homme exigeant, tu retires ce que tu n’as pas mis en dépôt, tu moissonnes ce que tu n’as pas semé.” Le roi lui déclara : “Je vais te juger sur tes paroles, serviteur mauvais: tu savais que je suis un homme exigeant, que je retire ce que je n’ai pas mis en dépôt, que je moissonne ce que je n’ai pas semé; alors pourquoi n’as-tu pas mis mon argent à la banque? À mon arrivée, je l’aurais repris avec les intérêts.” Et le roi dit à ceux qui étaient là: “Retirez-lui cette somme et donnez-la à celui qui a dix fois plus.” On lui dit: “Seigneur, il a dix fois plus! - Je vous le déclare: on donnera à celui qui a; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a. Quant à mes ennemis, ceux qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les ici et égorgez-les devant moi.”»

Après avoir ainsi parlé, Jésus partit en avant pour monter à Jérusalem.» Lc 19,11-28

L’explication que l’on donne couramment à cette parabole est que Dieu nous a donné des dons spirituels que l’on doit faire fructifier et qu’Il nous en demandera des comptes au retour de Jésus à la fin des temps. Il est d’autant plus facile de comprendre cela que dans la version plus courte de cette parabole dans l’Évangile selon saint Matthieu, on y parle de talents (qui était une unité d’argent, comme les mines, à l’époque de Jésus). Ceux qui soutiennent cette thèse se retrouvent alors face à un problème, ils n’arrivent pas à expliquer l’affreux verset final: «Quant à mes ennemis, ceux qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les ici et égorgez-les devant moi.» Pas très évangéliques ces paroles, vous en conviendrez!

Il n’y a pas que ces paroles qui choquent, il y a aussi cette sentence: «Je vous le déclare: on donnera à celui qui a; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a.»

J’ai participé pendant quelques années à un groupe de prière proche de la communauté de Taizé. Un jour, nous avons eu un moment de partage au sujet de cette parabole. J’ai senti un certain malaise dans le cœur de mes amis. Ils voyaient difficilement une faute dans le comportement du mauvais serviteur. Quand ce sentiment vient du cœur, temple où Dieu règne, c’est qu’il y a manifestement quelque chose qui cloche dans l’explication officielle. Rassurez-vous mes amis, vous avez sans doute raison.

Reprenons donc dans le détail ce passage de l’Évangile selon saint Luc. L’évangéliste nous indique que juste avant d’énoncer sa parabole, Jésus était près de Jérusalem et ses auditeurs pensaient que le royaume de Dieu allait se manifester à l’instant même. Il doit donc exister un lien logique entre le fait que Jésus était près de Jérusalem, cette croyance et la parabole de Jésus. J’ajoute que la parabole des mines doit aussi avoir une certaine continuité avec le récit sur Zachée («Comme on l’écoutait»). Que peut-il y avoir d’autre que l’argent comme lien entre entre l’histoire de Zachée et la parabole des mines?

Souvent quand Jésus parle d’un seigneur dans l’une de ses paraboles, on peut facilement faire le lien entre celui-ci et Dieu. Dans le cas précis de cette parabole, il ne peut pas en être de même. Pour éliminer toute possibilité de confusion, Jésus va évoquer en sous-jacent dans cette parabole l’histoire d’Archélaüs qui devait encore apparaître comme un traumatisme dans l’esprit de ses auditeurs (la mémoire des gens au temps de Jésus était beaucoup plus grande qu’aujourd’hui).

Voici ce que nous apprend Denis McBride au sujet d’Archélaüs dans son ouvrage «Les Paraboles de Jésus»:

«Archélaüs était l’aîné des fils et successeur d’Hérode le Grand. Dans la dernière version de son testament, Hérode nomme Archélaüs comme héritier principal de son royaume, Archélaüs évite d’utiliser le titre de «roi», qui ne pouvait être donné que par Auguste. Archélaüs allait bientôt faire face à des demandes de réduction et de suppression de taxes, à la libération de prisonniers, et au remplacement du grand-prêtre nommé par son père. Pour remettre de l’ordre, Archélaüs ordonne a sa cavalerie d’envahir l’enceinte du Temple: 3000 Juifs furent massacrés dans cette purge sanglante.

Archélaüs s’embarqua pour Rome afin de réclamer à Auguste le trône de son père. Pendant son absence, la guerre civile se transforma en une large rébellion. Le gouverneur de Syrie, Varus, rétablit l’ordre et donna la permission à une délégation de Juifs de se rendre à Rome pour s’opposer à la demande d’Archélaüs : ils demandaient que la Judée soit annexée à Rome et gouvernée directement par elle. Auguste trouva un compromis : il divisa le territoire d’Hérode et il agit de façon à satisfaire la délégation des Juifs qui demandaient l’abolition de la monarchie. Il accorda le titre d’ethnarque à Archélaüs, avec les territoires de Judée, Samarie et Idumée, avec en plus un certain nombre de cités, y compris Jérusalem. Antipas fut confirmé dans son titre de tétraque de Galilée et de Pérée, et Philippe, dans son titre de tétrarque de Gaulanitide, Trachonitide, Batanée et Panéas.

Bien qu’Archélaüs n’ait pas obtenu le titre de roi, il est intéressant de noter que Josèphe l’appelle «roi» - ce qui pourrait être l’expression populaire de la portée de son pouvoir. A son retour, il se vengea cruellement de ses opposants. Parlant du gouvernement tyrannique d’Archélaüs, Josèphe note comment «se souvenant de différends passés, il se conduisit sauvagement envers les Juifs, mais aussi envers les Samaritains». Il ne resta au pouvoir que dix ans, jusqu’à l’année 6 de notre ère. A cause de son goût borné pour la violence comme principal moyen de gouvernement, Auguste appela l’ethnarque à Rome, l’exila à Vienne en Gaule, et nomma un procurateur romain pour gouverner ses territoires.»

D’autres éléments nous montrent que le seigneur de cette parabole ne peut pas être lié à Dieu:

  • Le seigneur dit à son serviteur : «pourquoi n’as-tu pas mis mon argent à la banque? À mon arrivée, je l’aurais repris avec les intérêts.» Il est écrit dans le Deutéronome : «Tu ne feras à ton frère aucun prêt à intérêt: qu’il s’agisse d’argent, de nourriture ou de quoi que ce soit qui puisse rapporter des intérêts» Dt 23,20. Comment Jésus pourrait-il laisser dire à un seigneur apparenté à Dieu ou au Christ une chose que Dieu Lui-même a interdit dans la Torah (que connaissait parfaitement Jésus)?

  • Le seigneur donne autant de villes que de mines rapportées par les serviteurs qui ont fait fructifier ses biens. Il s’agit d’une attitude méritocratique typique des êtres humains, mais que l’on ne peut pas attribuer à Dieu. La générosité de Dieu est d’une grandeur qui dépasse l’entendement et la logique d’un être humain. Pour comprendre, prenez par exemple la parabole des Ouvriers de la onzième heure:
    «Beaucoup de premiers seront derniers, beaucoup de derniers seront premiers (Mt 19,30). En effet, le royaume des Cieux est comparable au maître d’un domaine qui sortit dès le matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée: un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent, et il les envoya à sa vigne. Sorti vers neuf heures, il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire. Et à ceux-là, il dit: “Allez à ma vigne, vous aussi, et je vous donnerai ce qui est juste.” Ils y allèrent. Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures, et fit de même. Vers cinq heures, il sortit encore, en trouva d’autres qui étaient là et leur dit : “Pourquoi êtes-vous restés là, toute la journée, sans rien faire?” Ils lui répondirent: “Parce que personne ne nous a embauchés.” Il leur dit : “Allez à ma vigne, vous aussi.” Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant: “Appelle les ouvriers et distribue le salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.” Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrent et reçurent chacun une pièce d’un denier. Quand vint le tour des premiers, ils pensaient recevoir davantage, mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier. En la recevant, ils récriminaient contre le maître du domaine: “Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure, et tu les traites à l’égal de nous, qui avons enduré le poids du jour et la chaleur!” Mais le maître répondit à l’un d’entre eux: “Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi. N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier? Prends ce qui te revient, et va-t’en. Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi: n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens? Ou alors ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon?” C’est ainsi que les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers.» Mt 20,1-16

  • Le seigneur de la parabole offre des villes à titre de récompense. Pour quoi faire? Soumettre leurs habitants et obtenir des richesses en retour? Encore une chose typiquement humaine et matérialiste de surcroît. Rappelons-nous de ce passage où Satan essaye de tenter Jésus lors de sa traversée du désert : «Alors le diable l’emmena plus haut et lui montra en un instant tous les royaumes de la terre. Il lui dit: «Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire de ces royaumes, car cela m’a été remis et je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela.» Jésus lui répondit: «Il est écrit: C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, à lui seul tu rendras un culte.»» Lc 4,5-8

  • Le seigneur de cette parabole nous parle du bien qu’il y a à faire fructifier son argent alors que Jésus nous a rappelé que «Nul ne peut servir deux maîtres: ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent.» Mt 6,24. Pourquoi Jésus n’a-t-il pas utilisé un autre exemple que l’argent pour évoquer les dons spirituels que Dieu nous demande de faire fructifier? C’est de fruits dont Jésus nous parle le plus souvent dans ses paraboles quand il s’agit de la fructification des dons spirituels. L’argent ne se mange pas, contrairement au Pain vivant descendu du ciel: «Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel: si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde.» Jn 6,51. A cela, on peut ajouter cette autre parole de Jésus : «Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif; mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle.» Jn 4,13-14

  • Vous remarquerez enfin qu’il n’est pas question de géhenne dans cette parabole. Que devient le mauvais serviteur? Nul ne le sait. Par contre, nous savons que les ennemis seront égorgés (pratique courante du temps d’Archélaüs). Cela ne colle pas nous plus avec la parole de Jésus qui nous dit d’aimer nos ennemis : «Eh bien! moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes.» Mt 5,43-45

Le lien entre cette parabole et Zachée est évidemment l’argent. Par quel procédé malhonnête les bons serviteurs ont pu multiplier par 10 ou 5 l’argent qui leur a été confié? Il y a sans doute eu spoliation. On ne peut s’enrichir personnellement qu’au détriment d’autres personnes. Pour qu’il y ait des riches, il faut qu’il y ait des pauvres. C’est une histoire de vases communicants. Le mauvais serviteur affirme même, au sujet de son seigneur, qu’il retire ce qu’il n’a pas mis en dépôt et moissonne ce qu’il n’as pas semé. Le seigneur de la parabole ne le dédie pas. Comment Zachée s’est-il lui-même enrichi? Il déclare que s’il a fait du tort à quelqu’un, qu’il allait lui rendre quatre fois plus. Vous remarquerez au passage que 4 est inférieur au rapport des gains des deux bons serviteurs de la parabole. L’appât du gain chez l’être humain peut être tellement fort qu’il peut faire bien plus de dégâts dans la société que ce que la générosité humaine peut compenser. On le voit clairement à l’œuvre dans notre monde.

Dans cette parabole, il est aussi question de banque. Les banques ne datent pas d’hier. En 3000 avant Jésus-Christ, à l’époque des Sumériens de Mésopotamie, le temple rouge d’Ourouk faisait déjà office de banque et, au cours des millénaires qui ont suivi, les temples d’Our et de Larsa ont continué cette activité. En Grèce, les temples d’Apollon à Delphes, d’Héra à Samos et d’Aphrodite à Ephèse recevaient des dépôts et prêtaient à long terme aux cités, aux marchands et aux citoyens. Sous l’empire romain, l’activité bancaire dans quelques grands temples s’est poursuivie (elle s’arrêtera pendant quelques siècles après la chute de l’empire romain). On peut citer ceux de Délos, Artémis à Sardes et surtout celui de Jérusalem où les Hébreux, riches et pauvres, déposaient traditionnellement leur argent (sur l’importance du temple de Jérusalem comme banque de dépôt pur les Hébreux, on peut consulter «Histoire économique et sociale de l’empire romain» tome I. de Michael Rostovtzeff). On parle de changeurs au lieu de banquiers et de tables de changes au lieu de banques dans la plupart des traductions du Nouveau Testament, mais il s’agit en fait de la même activité.

Nous allons maintenant exposer le lien logique qui existe entre le fait que Jésus était près de Jérusalem et la croyance, auprès de ses auditeurs, que le royaume de Dieu allait se manifester à l’instant même.

Quand Jésus arriva quelque temps plus tard à Jérusalem, il renversa les tables des marchands du temple. C’est la plus grande colère que Jésus manifesta dans les Évangiles. Voici comment cette scène est décrite par saint Luc, le même évangéliste qui nous a transmis la parabole des mines:

«Entré dans le Temple, Jésus se mit à en expulser les vendeurs. Il leur déclarait : «Il est écrit: Ma maison sera une maison de prière. Or vous, vous en avez fait une caverne de bandits.» Et il était chaque jour dans le Temple pour enseigner. Les grands prêtres et les scribes, ainsi que les notables, cherchaient à le faire mourir, mais ils ne trouvaient pas ce qu’ils pourraient faire; en effet, le peuple tout entier, suspendu à ses lèvres, l’écoutait.» Lc 19,45-48

Ce passage clôt le chapitre 19 dans lequel est écrit la parabole des mines. Pensez-vous qu’il s’agisse d’un hasard? Dans l’Évangile selon saint Marc, ce passage est décrit comme suit:

«Ils arrivèrent à Jérusalem. Entré dans le Temple, Jésus se mit à expulser ceux qui vendaient et ceux qui achetaient dans le Temple. Il renversa les comptoirs des changeurs et les sièges des marchands de colombes, et il ne laissait personne transporter quoi que ce soit à travers le Temple.» Mc 11,15-16

On peut faire un parallèle intéressant entre le verset 16 de ce passage (mis en gras) et le verset 23 du chapitre 10 qui précède le même Évangile de saint Marc : «Alors Jésus regarda autour de lui et dit à ses disciples: «Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu!»» (Mc 10,23). C’est juste après ce verset que Jésus dira qu’«il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu.»» (Mc 10,25).

On raconte qu’il y avait une petite porte à Jérusalem appelée «Trou de l’Aiguille». Après le coucher du soleil, cette porte restait ouverte plus longtemps que les grandes portes qui étaient plus difficiles à défendre. Les chameaux ne pouvaient y passer qu’en se défaisant de toutes leurs charges. A l’image du chameau passant à travers le trou de cette aiguille qu’en le déchargeant, Jésus demandait à tous ceux qui voulaient entrer dans le Temple de Jérusalem de se décharger de ce qu’ils pouvaient porter avec eux. C’était dans le but de rappeler que l’on ne saurait laisser entrer dans le temple de Dieu les activités lucratives de ce monde. Quand nous naissons nous ne possédons rien et nous repartons sans rien à notre mort. L’accumulation de richesses, et l’attachement au matérialisme qui l’accompagne, est un obstacle pour entrer au royaume de Dieu (c’est aussi un obstacle au véritable bonheur).

Tout cela n’était pas du goût des grands prêtres, des scribes et des notables qui cherchaient un moyen de faire mourir Jésus. C’est ce que saint Luc nous apprend. Il nous apprend aussi que le peuple tout entier était suspendu aux lèvres de Jésus (ils aimaient ses paroles). Ce n’est pas le peuple qui a voulu la mort de Jésus, mais les grands prêtres, les scribes et les notables de Jérusalem qui voyaient en lui une menace pour leurs affaires lucratives. En d’autres termes, c’est l’amour des richesses de ce monde qui est la cause de la mort de Jésus.

Il est manifeste que le seigneur de la parabole des mines est attaché aux richesses de ce monde au point de spolier gravement le peuple par l’intermédiaire de ses bons serviteurs (qui peuvent être comparés à des spéculateurs ou à des traders). Il récompensera même le bon serviteur qui lui rapporta 10 mines en lui donnant la mine du mauvais serviteur à la stupéfaction des autres: «Seigneur, il a dix fois plus!». La sentence de ce seigneur sera alors terrible : «Je vous le déclare: on donnera à celui qui a; mais celui qui n’a rien se verra enlever même ce qu’il a.». Voilà le lien avec l’avènement du royaume de Dieu à la fin des temps humains. Quand l’amour des richesses de ce monde aura atteint un tel point que les riches ne pourront qu’être de plus en plus riches et qu’il ne restera plus qu’aux pauvres à donner la seule chose qu’il leur restera, à savoir leur vie, alors le monde des hommes touchera à sa fin. La parabole des mines est en fait une prophétie. Personne ne connaît le moment de la fin des temps humains, mais on peut en reconnaître le principal signe annonciateur à l’accumulation incroyable de richesses par quelques uns au détriment de l’immense majorité.

Le triomphe du néolibéralisme pourrait bien être ce signe annonciateur. A cause de cette idéologie économique, politique et sociétale, les inégalités dans le monde n’ont jamais été aussi fortes. Les graves crises systémiques qui nous menacent n’arrivent pas à être résolues à cause de la cupidité de quelques personnes très riches, mais aussi à cause de l’égoïsme, l’égotisme et l’attachement aux biens de ce monde qui touchent une grande partie des habitants des pays les plus riches. Tout cela a été grandement facilité par le néolibéralisme. Derrière la partie économique de cette idéologie mortifère, il y a des modèles mathématiques complexes. Ces modèles sont hors sol puisqu’ils partent du principe que les ressources de la Terre sont infinies et que les dégâts qu’on lui cause ne coûtent rien (on pourrait leur affecter un coût, mais dans le cas où ces dégâts seraient quasi irréparables, ils devraient être infinis, mais alors cela ferait partir les modèles en vrille). Nos économistes orthodoxes s’intéressent aux états optimaux de ces modèles. Parmi ceux-là, il y en a un qui ne les choquent même pas: il s’agit de celui où une personne détiendrait toutes les richesses du monde et les autres rien. Ça laisse songeur, non? Il s’agit d’un optimum de Pareto: